Un ami me demande pourquoi je n'écris pas quelque chose de plus substantiel. D'abord, je le remercie de croire qu'il me serait possible de le faire; ensuite, je m'empresse de lui répondre qu'une cigale est une cigale et qu'un certain art de vivre nous laisse de précieux loisirs qu'il serait malheureux d'organiser.
D'ailleurs, j'écris ces quelques lignes un vendredi soir, dans une atmosphère de profonde quiétude. J'écoute la sonate V en sol majeur de Corrette, interprétée par les Voix humaines (Atma, ACD2 2307). Les violes de gambe, les bassons, la contrebasse, le théorbe et le clavecin s'amusent dans les bois, jouent à cache-cache avec nos émotions les plus frivoles, comme si la musique ne cessait de dire : "Coucou, je suis là. Viens vers moi. Non, pas là. Tourne à droite, marche vers le tilleul. Ça y est, continue. Tu y es presque. Tu brûles. Maintenant, arrête-toi. Ferme les yeux. Savoure ta solitude."
Balzac, dans La Théorie de la démarche, pose cette question : "N'avez-vous pas souvent ri des gens qui virvouchent?" Et Balzac précise : "Virvoucher exprime l'action d'aller et de venir, de toucher à tout, de bourdonner, de tatillonner; virvoucher, c'est faire une certaine quantité de mouvements qui n'ont pas de but."
Virvoucher... Un verbe ne m'a jamais aussi bien décrit. La Comédie humaine, ce n'est pas pour moi. Il faut du génie; je n'en ai pas. Il faut exiger de soi toujours plus de travail; je me plains d'en avoir toujours trop. Il faut se donner un but dans l'existence; je n'en ai aucun. Bref, je ne fais rien de ma vie. Sinon que j'enseigne.
C'est pas grand-chose. Mais c'est au moins ça.
vendredi 22 août 2008
jeudi 21 août 2008
Est-ce donc ça?
Je rentre tout juste d'une promenade à vélo. Le long de la route 138, un peu avant Baie-Jolie jusqu'à Pointe-du Lac, il y a plein de maisons cossues. Le fleuve leur appartient. Pour certaines d'entre elles, des grilles nous inspirent une crainte salutaire. D'autant plus qu'on y affiche en grosses lettres noires sur fond blanc : "Privé". De quoi? Je vous le demande... Peut-être de vie.
À Baie-Jolie, j'ai vu un héron. Noble comme tous les hérons. Je me suis arrêté pour le voir de plus près. C'est à peine s'il a regardé dans ma direction. Je suis l'intrus, il reste le propriétaire des lieux. Un bateau traversait au loin le lac Saint-Pierre. Le soleil se couchait lentement. J'ai ouvert les bras. Tendu mes paumes vers le ciel. Respiré l'air du crépuscule comme si ma dernière heure était arrivée.
Vivre. Est-ce donc ça? Rien que ça? Une halte au bord de la route. Le temps de dire merci.
À Baie-Jolie, j'ai vu un héron. Noble comme tous les hérons. Je me suis arrêté pour le voir de plus près. C'est à peine s'il a regardé dans ma direction. Je suis l'intrus, il reste le propriétaire des lieux. Un bateau traversait au loin le lac Saint-Pierre. Le soleil se couchait lentement. J'ai ouvert les bras. Tendu mes paumes vers le ciel. Respiré l'air du crépuscule comme si ma dernière heure était arrivée.
Vivre. Est-ce donc ça? Rien que ça? Une halte au bord de la route. Le temps de dire merci.
dimanche 17 août 2008
Pour vous servir
J'aime faire la cuisine. J'aime être à table. Mais quelque chose en moi se rebiffe à l'idée d'être servi par quelqu'un d'autre que moi. Cette forme de timidité, je la dois à mon éducation familiale.
Mes parents servaient les autres, même si trop souvent les autres se servaient d'eux. À l'usine, mon père offrait son aide aux camarades comme aux petits boss, sauf les jours de grève où il n'avait d'attention que pour ceux qui peinaient avec lui. Dans le quartier où nous habitions, ma mère avait l'habitude de prêter main-forte à quiconque en éprouvait le besoin : faire de la couture pour les uns, du lavage pour les autres, des galettes pour tout le monde. Mes parents m'auront appris la signification profonde du mot "communauté". Que l'on remplace aujourd'hui par un souhait boursouflé d'irénisme : le "vivre-ensemble".
À une époque où chacun réclame ses droits, je vois mal quelqu'un en train de remplir tout simplement son devoir. Il n'y a rien d'humiliant dans le fait de servir autrui tant et aussi longtemps que résiste à la malveillance cet instinct de bonté que freinent les politiques alors qu'elles devraient le stimuler.
Mes parents servaient les autres, même si trop souvent les autres se servaient d'eux. À l'usine, mon père offrait son aide aux camarades comme aux petits boss, sauf les jours de grève où il n'avait d'attention que pour ceux qui peinaient avec lui. Dans le quartier où nous habitions, ma mère avait l'habitude de prêter main-forte à quiconque en éprouvait le besoin : faire de la couture pour les uns, du lavage pour les autres, des galettes pour tout le monde. Mes parents m'auront appris la signification profonde du mot "communauté". Que l'on remplace aujourd'hui par un souhait boursouflé d'irénisme : le "vivre-ensemble".
À une époque où chacun réclame ses droits, je vois mal quelqu'un en train de remplir tout simplement son devoir. Il n'y a rien d'humiliant dans le fait de servir autrui tant et aussi longtemps que résiste à la malveillance cet instinct de bonté que freinent les politiques alors qu'elles devraient le stimuler.
samedi 16 août 2008
La sainte Trinité
Près du clavier sur lequel j'écris, trois portraits. Celui d'un ouvrier, Conrad Bouchard; celui d'un professeur, Alexis Klimov; celui d'un ironiste, Denis Diderot. C'est ma sainte Trinité : le Père, le Maître et l'Esprit sain. Je leur dois tout. Au premier, l'amour du travail; au deuxième, l'amour des livres; au troisième, l'amour des lettres. Sans eux, je ne serais rien. J'aurais peut-être un diplôme de plus, ce que l'on appelle une maîtrise, mais j'aurais un savoir en moins, une vie tronquée, un coeur défait.
L'an dernier, dans un cours de philosophie et littérature, je donnais à lire les Pensées pour moi-même. Dès les premières lignes, et pour tout le livre un, Marc Aurèle rend hommage à ceux qui lui ont permis d'être ce qu'il est. Un homme pour qui les louanges sont inutiles et les besoins de s'améliorer constants. J'ai demandé à mes étudiants de dresser la liste des êtres qui auront compté pour eux. Plusieurs m'ont regardé d'un air déconfit. Pour certains, à peine les parents étaient-ils mentionnés; pour les autres, il n'y avait personne - rien, ni un instituteur ni une maîtresse, ni une leçon ni un amour, leur réponse se résumait à une moue. J'ai dit que je les plaignais. Mais je n'ai pas insisté. Aurais-je dû? Je crois qu'ils éludaient une injonction de l'empereur philosophe : "Creuse au-dedans de toi."
Dans quelle école, dans quel collège, dans quelle université, fait-on de la connaissance de soi un objectif légitime? Est-ce une mauvaise habitude qui nuit au marché? Au monde comme il va? Peu importe où? Je crains le jour où les Penseés pour moi-même seront des pensées pour d'autres. Jamais pour soi.
L'an dernier, dans un cours de philosophie et littérature, je donnais à lire les Pensées pour moi-même. Dès les premières lignes, et pour tout le livre un, Marc Aurèle rend hommage à ceux qui lui ont permis d'être ce qu'il est. Un homme pour qui les louanges sont inutiles et les besoins de s'améliorer constants. J'ai demandé à mes étudiants de dresser la liste des êtres qui auront compté pour eux. Plusieurs m'ont regardé d'un air déconfit. Pour certains, à peine les parents étaient-ils mentionnés; pour les autres, il n'y avait personne - rien, ni un instituteur ni une maîtresse, ni une leçon ni un amour, leur réponse se résumait à une moue. J'ai dit que je les plaignais. Mais je n'ai pas insisté. Aurais-je dû? Je crois qu'ils éludaient une injonction de l'empereur philosophe : "Creuse au-dedans de toi."
Dans quelle école, dans quel collège, dans quelle université, fait-on de la connaissance de soi un objectif légitime? Est-ce une mauvaise habitude qui nuit au marché? Au monde comme il va? Peu importe où? Je crains le jour où les Penseés pour moi-même seront des pensées pour d'autres. Jamais pour soi.
vendredi 15 août 2008
On repart la machine...
Frérot m'a convaincu : je relance le bloc-notes.
De 1996 à 2001, les vendredis, je chroniquais au Nouvelliste, un quotidien de Trois-Rivières. En hommage à François Mauriac, j'ajoutais mon nom à une assez longue liste de pâles imitateurs du Bloc-notes (Seuil, coll. Points, 5 volumes, 1952-1970). Le romancier catholique s'était engagé "sur ces problèmes d'en-bas", que traite le journalisme, "pour des raisons d'en-haut", que plus personne n'invoque aujourd'hui à moins d'écrire pour La Tour de garde (le fascicule des Témoins de Jéhovah) ou dans Vers Demain (le tract des Bérets Blancs).
Jean Lacouture, lui-même un très grand journaliste, en 1980 présentait Mauriac comme "le plus grand des journalistes". J'imagine mal que l'on puisse le contredire aujourd'hui. Les catholiques se font discrets. On ne les lit plus, on ne les entend guère plus. Ils se veulent peut-être trop chrétiens. Pour certains esprits, l'humilité se confond avec l'effacement. Passons.
Récemment, à propos de ces auteurs catholiques qui nous font cruellement défaut, j'écrivais à l'un de mes amis : "Pascal aussi me fait sourire. Quand il s’attaque aux bons pères, il y met une férocité toute chrétienne. La même que l’on retrouve chez Bernanos. Ou chez Mauriac dans son Bloc-notes. Décidément, les écrivains catholiques ne sont vraiment inspirés que lorsqu’ils mangent du prochain. J’exagère, bien sûr. Mais je sais que la raillerie est un viatique, et la bêtise une maladie incurable." Dans la vie de tous les jours, le plus souvent en fin de soirée, je raille pour éviter de râler, et parfois je suis bête pour me garder de l'être tout à fait. Mais c'est une autre histoire, que pour l'instant je vous épargne.
Je reprends donc le collier. Ce ne sera pas facile, on se rouille si vite. Je parlerai de ce qui m'enchante et de ce qui me dérange. De mes lectures et de mes rêveries. Je lutterai contre l'esprit du temps, lequel nous invite à toujours plus de sottise et toujours moins d'introspection.
De 1996 à 2001, les vendredis, je chroniquais au Nouvelliste, un quotidien de Trois-Rivières. En hommage à François Mauriac, j'ajoutais mon nom à une assez longue liste de pâles imitateurs du Bloc-notes (Seuil, coll. Points, 5 volumes, 1952-1970). Le romancier catholique s'était engagé "sur ces problèmes d'en-bas", que traite le journalisme, "pour des raisons d'en-haut", que plus personne n'invoque aujourd'hui à moins d'écrire pour La Tour de garde (le fascicule des Témoins de Jéhovah) ou dans Vers Demain (le tract des Bérets Blancs).
Jean Lacouture, lui-même un très grand journaliste, en 1980 présentait Mauriac comme "le plus grand des journalistes". J'imagine mal que l'on puisse le contredire aujourd'hui. Les catholiques se font discrets. On ne les lit plus, on ne les entend guère plus. Ils se veulent peut-être trop chrétiens. Pour certains esprits, l'humilité se confond avec l'effacement. Passons.
Récemment, à propos de ces auteurs catholiques qui nous font cruellement défaut, j'écrivais à l'un de mes amis : "Pascal aussi me fait sourire. Quand il s’attaque aux bons pères, il y met une férocité toute chrétienne. La même que l’on retrouve chez Bernanos. Ou chez Mauriac dans son Bloc-notes. Décidément, les écrivains catholiques ne sont vraiment inspirés que lorsqu’ils mangent du prochain. J’exagère, bien sûr. Mais je sais que la raillerie est un viatique, et la bêtise une maladie incurable." Dans la vie de tous les jours, le plus souvent en fin de soirée, je raille pour éviter de râler, et parfois je suis bête pour me garder de l'être tout à fait. Mais c'est une autre histoire, que pour l'instant je vous épargne.
Je reprends donc le collier. Ce ne sera pas facile, on se rouille si vite. Je parlerai de ce qui m'enchante et de ce qui me dérange. De mes lectures et de mes rêveries. Je lutterai contre l'esprit du temps, lequel nous invite à toujours plus de sottise et toujours moins d'introspection.
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